Nadir
- Valentine Birnbaum
- 19 avr. 2020
- 2 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 oct. 2020

L’eau éclaboussait les planches de bois tandis que la barque glissait délicatement entre les vagues du fleuve. Un calme reposant régnait, les oiseaux s’envolaient vers leurs contrées et entrainaient avec eux les derniers rayons du soleil. De son côté, le vent soufflait avec amour ses confessions du soir et rafraichissait de ses mots les oreilles attentives des passagers. Le crépuscule osait enfin sortir maintenant que le jour était parti et sa présence n’arrangeait rien à l’ambiance. Elle était glaciale depuis le départ de la rive et perdait en température à mesure que le soleil se défilait. Et même si l’horizon offrait un spectacle unique aux deux amoureux, rien ne semblait satisfaire leurs yeux lassés. Aucun mot n’avait assez de courage pour braver cette tension, tous restaient terrés dans le creux de gorges nouées par la rancœur. Et alors que la gondole continuait son chemin harmonieux, les regards eux, cherchaient à observer tous les environs du moment qu’ils ne se croisaient pas. La nuit commençait à réellement menacer de tomber sur l’eau mais le remous continuel des rames rompait le silence gênant de la situation. Ils n’essayaient même plus de faire semblant et laissaient ainsi le vide combler l’atmosphère rompue. Ils n’avaient rien à dire, ni rien envie de se dire. Ils n’avaient pas non plus envie de se voir, alors ils profitaient du vacillement que reflétait l’ombre de la barque sur l’eau comme échappatoire à des yeux qui cherchent à s’éviter. Pendant des heures ils avaient navigué, sans un mot, sans un bruit, sans une pointe de compassion dans le peu d’oeillades échangées. Et maintenant que la lune était à son paroxysme, ils s’arrêtaient. Le vent semblait alors se frayer un passage entre les roseaux et en ressortir accompagné de chuchotements frileux. Et seulement quelques étoiles paraissaient d’humeur à illuminer les brumes de nuages perdues dans les airs nocturnes. Le paysage était beau et les arômes humides d’été sentaient bon. Mais les deux amants s’en moquaient, ils n’étaient pas là pour ça.
Et d’un coup, rompant le calme de la nuit, elle redressa ses épaules et affronta pour la première fois depuis des heures, le regard de celui qu’elle avait aimé ces six dernières années. Comment tout cela avait-il pu se passer, comment avaient-ils pu en arriver là ? Et tout en s’aidant d’une main sur le rebord de la péotte, elle se leva, mais ses collants encore accrochés à l’assise s’effilochèrent. Elle poussa un long soupir en secouant d’un geste la tête, c’était bien la pire journée de sa vie. David, de l’autre côté du bateau, observait la scène depuis le début, et avant même qu’elle n’eut le temps de prononcer le moindre mot, il se précipita vers elle et embrassa tristement ses lèvres encore chaudes. Ils se regardaient désormais les yeux dans l’âme, et savouraient ce qui leur restait encore de sentiments partagés. L’empathie avait enfin pris la place du dégout et tandis qu’ils s’en rendaient compte, ils balançaient le macchabé par-dessus bord.
Valentine Birnbaum
le 20 avril 2020, Montpellier
| Photo © Valentine Birnbaum, 2020, Nouvelle-Calédonie
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