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Fuite d'existence

  • Photo du rédacteur: Valentine Birnbaum
    Valentine Birnbaum
  • 19 oct. 2020
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 2 nov. 2020

Se chercher, se trouver, se perdre et s’abandonner. Avant de s’accepter. De reconnaître la flamme, l’imperceptible lumière qui anime l’antre de nos corps. Cet infime pétillement de désir qui traduit nos véritables intentions. Nos souhaits les plus profonds. Nous n’osons pas l’observer, pas même assumer qu’elle existe. Parce qu’elle nous effraie, parce qu’elle illumine rarement un chemin connu. Parce qu’elle nous pousse à découvrir un monde pour l’heure obscur. Nous fuyons ce crépitement de nos entrailles, celui qui fait trembler la moindre membrane de nos cellules. Nous avons peur de l’inconnu, et c’est précisément vers celui-ci qu’il nous guide. Nous préférons noyer nos sens dans des normes arbitraires, laver de javel toute odeur subtile de désir, aveugler nos visions d’aventure et faire taire la mélodie de la volonté. Le confort rassure tellement qu’il endort profondément nos sens dans un coma irréversible. Nous abandonnons notre vivacité de corps et de réflexion en plongeant dans une mer aseptisée. Nous avons tellement peur de souffrir que nous préférons ne pas vivre. Nous recherchons l’anesthésie, l’absence totale de sensation pour s’assurer de ne pas affronter la douleur. Nous recherchons la mort, parce que nous avons peur de la vie. Nous nous confortons dans un océan consumériste dans lequel nous consentons à doucement couler par peur de se froisser un muscle en nageant. Notre déclin vers la mort est accompagné de leurres pour nous rassurer. Chaque jour nous accumulons des artéfacts qui nous prouvent que nous sommes vivants. Mais nous nous faisons tracter vers le fond de cet océan sans bouteille d’air et nous nous confortons de posséder des coquillages. Nous choisissons la mort car elle ne demande plus d’effort, elle ne requiert aucune dépense énergétique. Nous nous aveuglons dans une peur constante de ne plus avoir, alors nous entassons. Nous craignons manquer, d’air, d’énergie, de ressource pour vivre alors nous capitalisons, juste au cas où. Nous conservons car nous sommes effrayés de la vie, effrayés de ne pas contrôler, effrayés de ne pas maîtriser car effrayés de ne pas pouvoir anticiper. Nous sommes effrayés de ne pas être capables de nous adapter.

Nous avons peur de la vie car nous avons peur de nous-mêmes. Nous avons peur de nos capacités, nous avons peur de ne pas pouvoir survivre. Alors nous controns, nous maîtrisons, nous contrôlons, nous détruisons. Nous asservissons ceux qui sont plus forts que nous car nous en avons peur. Nous craignons chez eux leur meilleur capacité que la notre à survivre. Ils nous effraient car ils n’ont pas peur de vivre, au contraire ils la cherchent la vie. Par tous les moyens, ils sont prêts à tout pour ressentir. Ils nous font peur parce qu’ils sont meilleurs que nous. Mais avouer qu’ils le sont reviendrait à admettre que notre stratégie est inadaptée. Cela reviendrait à douter de tous les choix qui nous ont conduits à la place qu’on occupe actuellement. Ce serait accepter d’ouvrir les yeux sur la chute qu’on est entrain de faire tout droit vers la mort. Ce serait accepter de savoir qu’on est entrain de tomber parce qu’on s’est laissé mourir.

La vérité est trop dure à intégrer si la volonté de vivre n’est pas suffisamment persistante. Si la culpabilité est plus puissante que l’espoir. Il vaut mieux refermer les yeux et avaler la pilule bleue. Accepter son destin en l’oubliant dans des drogues sociétales qui annihilent notre perception en la saturant d’informations. Tous les sens sont ainsi sollicités à leur paroxysme pour perdre toute notion avec la réalité. Nous surstimulons notre ancrage sensitif pour qu’il ne puisse plus fonctionner, qu’il ne puisse plus intercepter les informations lucides de notre environnement. Nous nous endormissions devant des images violentes, devant des histoires sordides car notre corps s’est accoutumé au produit. Il en requiert davantage. Il a besoin d’être envahit pour ne plus être en mesure de percevoir. Nous recherchons l’absence de sensations en brouillant nos canaux de réception et de transmission par un surplus de données qui les rendent dysfonctionnels. Nous souhaitons court-circuiter notre cerveau pour qu’il s’abrège de toute émotion négative alors nous supprimons toute sensation, même positives. Les excès sont d’autant plus dangereux que notre volonté de fuir est grande. Nous nous réfugions de cette fugue dans ce qui sait calmer nos sens, dans ce qui éteint notre peur, dans ce qui fait taire nos craintes. Et plus ces dernières sont présentes, plus nous avons besoin d’un remède puissant qui sache nous les cacher. Nous avons si peur d’affronter la vie, de ressentir, que nous sommes prêts à dépenser toute l’énergie qui nous reste à nous confectionner un voile couvrant nos yeux. Nous savons pertinemment que nous sommes voués à notre perte, mais nous nous satisfaisons de ne pas voir la fin approcher. Nous préférons nous cacher les sens de la perception de vérités dangereuses que d’agir pour s’en sauver. Nous nous bouchons les oreilles, nous fermons les yeux et stoppons notre respiration lorsque le tigre est en face de nous car il nous est plus facile d’accepter la mort tant que nos sens ne peuvent pas nous alerter de son arrivée que de les utiliser comme guides pour notre survie.

Nos sensations sont des alarmes qui retentissent dès lors qu’un équilibre est rompu. Partant de ce constat, nous choisissons de ne pas les écouter et même de les éteindre car la fuite est plus accessible que l’affront. Rétablir un nouvel équilibre demande une dépense énergétique qui, de prime abord, semble plus importante qu’une coupure nette du courant alimentant nos émotions. Pourtant, façonnées au grès de l’évolution, ces dernières sont affinées à la pointe de l’adaptation et nous garantissent un palier de sécurité avant que la rupture de l’équilibre ne devienne pathologique. Les émotions s’allument lorsqu’un changement doit s’opérer, lorsque notre équilibre actuel n’est plus adapté à la situation, au nouveau contexte. Nous nous accordons ici bien évidemment sur toutes les émotions autres que la joie. Celle-ci, au contraire, manifeste l’atteinte de la zone homéostasique d’un équilibre sain pour l’organisme. Par fierté, par la grandeur de notre égo, nous ne voulons pas admettre que notre équilibre n’est plus adapté, qu’il n’est plus stable. Alors nous faisons taire nos systèmes d’alarme. Alors nous court-circuitons le moindre indice dévoilant une nécessité d’évolution.

Il s’avère pourtant que nous sommes des êtres vivants et dès lors, nous sommes soumis à la définition – s’il est possible d’en décrire une – de la vie, traduisant une évolution permanente d’un organisme de sa naissance à sa mort à la recherche d’un équilibre homéostasique adapté à son environnement. Nous sommes faits pour le mouvement, pour l’adaptation, pour l’évolution. Dans un environnement changeant, un organisme qui stagne est un organisme qui meurt. L’évolution est à la base de la survie. Et l’une des dernières acquisitions que nous a façonné celle-ci sont les émotions. Ultimes guides de la survie. Ultimes outils d’adaptation, d’évolution. Ultimes éléments propres à la vie. Ne pas les écouter, ne pas chercher à les comprendre, ne pas essayer d’apprendre d’elles revient à se disqualifier de la compétition pour la vie. C’est négliger notre meilleur allié de parcours. Nous avons acquis la conscience de soi et la capacité de réfléchir, de planifier, d’anticiper. Nous pensons naïvement que cette faculté propre à l’humain nous exempt de toute ressemblance avec le monde du vivant. Nous croyons que par cette acquisition, nous devons nier toute ce qui nous rapproche des autres êtres.

Nous nous prenons pour l’exception de l’évolution dont seules des entités supérieures auraient été aptes à confectionner. Nous nous persuadons que nous échappons à toute loi physique, à toute évolution biologique. Nous pensons que le but ultime de la conception de ce monde tel quel, était de créer l’humain. Nous sommes aveuglés par notre propre égo qui refuse jusqu’aux faits même observés pour appuyer son propre mensonge sur la stabilité de son équilibre. Par tous les moyens, nous tentons de fuir la pertinence de l’équilibre dynamique, la nécessité de mouvement pour la pérennité. Par tous les moyens, nous nous assurons que le produit final de l’évolution s’est achevé sur notre résultat et que rien ne pourra dépasser notre stade. Notre égo craint tellement de ne plus être la finalité d’un travail, de ne plus statuer en haut du portoir « organisme le plus adapté » qu’il fuit la réalité au lieu de l’accepter. Il fuit la compréhension qu’il n’est en rien exempté des lois générales de la vie, qu’il n’est en rien plus adapté que les autres organismes, qu’il n’est en rien un produit fini. Notre égo fuit parce qu’il a peur de la réponse à la question : « Pourquoi moi ? ». Il a peur parce qu’il sait qu’il n’y a pas de réponse. Parce qu’il sait qu’il n’y a pas de volonté derrière son existence. Parce qu’il sait qu’il ne vaut rien de plus ni de moins que tout ce qui l’entoure. Parce qu’il sait que cette question est non pertinente. Et parce qu’il sait que cette dernière vérité remet toute sa fonction en péril.



Valentine Birnbaum

Le 20/10/2020, Nouméa


| Photo © Valentine Birnbaum, 2020, Rive du Lez - Montpellier

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