Les humains
- Valentine Birnbaum
- 8 nov. 2020
- 3 min de lecture

J’ai toujours eu l’impression de ne pas ressentir, parce que l’observation de mes comportements précédait toujours la conscience de mes émotions. Je constatais, j’énumérais et j’étudiais les faits avant d’en tirer une conclusion. Je croyais être spectatrice de mon corps alors que je m’impliquais à analyser d’un œil objectif la situation. Est-ce un comportement adapté ? me conférera- t-il une meilleure survie, un avantage de reproduction ? Est-ce que ma relation aux émotions est une évolution qui mérite une expansion dans la population par une prolifération de ma descendance ?
Jamais, je crois, avoir ressenti quelque chose et le reconnaître spontanément, sans réflexion de ma conscience, sans analyse minutieuse. Les émotions sont peut-être innées mais leur prise de conscience, j’en doute fort. Peut-être qu’un jour le seront-elles, si les individus aux meilleures capacités de leurs reconnaissance se perpétuent suffisamment, il faudrait attendre patiemment l’intervention de la sélection naturelle. Faut-il encore y voir un avantage adaptatif, mais là n’est pas le sujet.
Comment les comportement traduisent-ils notre personnalité ? Comment nos actions, nos paroles, nos attitudes, nos silences expriment-ils tout ce que l’on ne dit pas ? Comment reflètent-ils la personne que l’on est vraiment ? Comment nous trahissons-nous dans nos propres mensonges ? Quelle place occupons-nous réellement dans le règne social malgré tous nos efforts pour la dissimuler ? En quoi ces mêmes efforts sont ceux qui, justement, nous dévoilent le plus ? Pourquoi fuyons-nous qui nous sommes ?
Les ignorants appellent ça « télépathie », « sorcellerie » sans réaliser qu’en posant les questions, ils donnent en même temps les réponses. Les gens attribuent à la science de la psychologie un culte bien trop exagéré à ce qu’elle n’est vraiment que la lecture du langage humain. J’ai l’impression de tricher tellement c’est facile. Une certaine crainte et une certaine fascination entourent le sujet, les humains n’aiment pas qu’on puisse les comprendre, les rendre intelligibles, prédictifs. Qu’on les étudie comme un phénomène descriptible, qu’on puisse les percer à jour. Les humains n’aiment pas la prestance de cette discipline car ils ne veulent pas croire que leurs comportements suivent des lois générales. L’égo humain persiste à vouloir s’identifier comme unique, différent des autres, comme inintelligible, à croire que lui seul détient la clé du coffre de son honnêteté. Assumer qu’il est prédictible revient à assumer qu’il est maîtrisable, qu’il ne figure pas en haut de la chaîne alimentaire. C’est assumer qu’il n’est rien de plus qu’une partie de ce monde, qu’il ne joue pas le rôle principal dans le film de l’humanité. Assumer qu’il est étudiable c’est le replacer à la place d’un rat de laboratoire, c’est lui supprimer son libre arbitre, c’est lui retirer toute croyance de son unicité. C’est lui faire prendre conscience qu’il est comme tout le monde, qu’il n’est plus personne. C’est le considérer comme une bête de foire : « Agis, divertis-moi de tes comportements, montre-moi Animal, comment tu réagis dans cette situation, allez ! Divertis – moi » dirait le chercheur fou à son participant.
Étudier le comportement humain c’est se placer au-dessus des individus, se considérer comme supérieur à eux car capable de les comprendre. Il faut être le plus grand des égocentriques pour étudier les humains. Ou au contraire, être passionné par les dessous du décor comme par ceux qui construisent un tour de magie. S’émerveiller de l’ingéniosité de la préparation du spectacle plus que du spectacle en lui-même. Les humains sont fascinants, ils réfléchissent et agissent et tous leurs agissements traduisent leur raisonnements. Ils ne réalisent pas à quel point la confection de leur mensonge, la raison qui les pousse à l’élaborer et les moyens par lesquels ils s’y attèlent sont cent fois plus intéressant que l’artifice qui en découle.
Les humains sont aveugles, bloqués dans leurs agissements et leur vision ils se restreignent par le port d’œillères. Trop occupés à croire que le reste du monde raisonne comme eux, ils ne savent pas que toutes les précautions qu’ils emploient à se cacher sont précisément les indices qui dévoilent ce dont ils ont le plus peur.
Valentine Birnbaum
Le15/04/2020, Montpellier
| Photo © Enolou Soria, 2020, Montpellier
Comments