Mariqua
- Valentine Birnbaum
- 13 oct. 2020
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 janv. 2021

L’orgue résonnait à l’allure que prenait sa démarche dans l’autel. Un pied après l’autre, elle rentrait un peu plus dans la transe que son corps s’autorisait enfin à ressentir. L’achèvement de toute sa vie ne se trouvait désormais qu’à quelques mètres de sa position. Et plus les secondes défilaient, plus se rétrécissait la distance qui la séparait de sa consécration. Chaque enjambée la transportait un peu plus dans le flottement d’un nuage anesthésique au travers duquel la moindre sensation était simplement anéantie. Seul le vide subsistait dans l’élévation de son égo vers le ciel, de son âme vers le paradis. Elle se rapprochait dangereusement de l’extase de ne plus être, de la perte irréversible de son « soi », de l’abandon même de son intégrité. Sa chair frissonnait du vent criant qui résonnait au fond du précipice. À mesure qu’elle progressait au sein de l’église, ses doigts tremblaient de l’afflux sanguin provoqué par l’adrénaline. Et ses membres trahissaient la toute-puissance d’un corps qui sait d’avance qu’il a gagné.
Alors Mariqua redresse la tête, tant qu’elle peut encore le faire, inondée d’un épanouissement absolu de régner sur son propre monde, de jouir de la mort d’un poids qui la condamnait à vivre. Elle déambule son être désormais libre d’accéder à l’éternité puisque chaque pas qu’elle engage la fait mourir un peu plus. Et elle jouie de cette mort, elle savoure déjà la victoire de se tuer vivante. Elle sait qu’elle a maintenant remporté la bataille de sa vie, celle contre la mort. Et son souffle respire le soulagement que connait le survivant d’un duel sanglant. Elle a combattu son pire ennemi, le démon qui la hantait depuis des années, celui qui l’effrayait tant qu’elle devait fuir à son opposé, celui qui la forçait à vivre par peur de mourir. Mais aujourd'hui symbolise le jour où elle remporte le combat contre son alter ego, où elle remporte le combat contre la pression de la mort sur l’achèvement de sa vie. Elle aura réussi à finir sa vie avant que la mort n’ait le temps de le faire. Elle aura remporté la guerre contre son seul prédateur, elle aura terminé l’unique aboutissement qui la maintenait encore debout parmi les mortels. Elle aura vaincu la mort en se tuant la première. Elle aura accompli le seul chef-d’œuvre qui méritait d’être réalisé, le seul parce que qui justifiait le pourquoi de sa présence sur Terre. Elle aura atteint le bout du fil de son existence et pourra le couper avant que ne le fasse le son de son tocsin biologique. Elle aura court-circuité sa mort en débranchant elle-même l’unique câble qui la maintenait à la vie. L’unique courant électrique qui la faisait lutter contre le déclin. Alors, Mariqua se laisse déjà gouter le parfum subtil et charnel qui compose la mélodie de sa mort. Mariqua découvre le jour de sa mort, le jour de l’achèvement de sa quête, le jour où elle atteint sa destinée. C’est aujourd'hui qu’elle réalise la mission que Dieu a donné à sa vie, la raison pour laquelle elle est encore vivante, l’objectif même de sa propre existence. C’est aujourd'hui qu’elle se donne la mort en achevant le but ultime de sa vie. Se marier. Et elle sait désormais qu’elle n’a plus rien à craindre de la mort, car elle n’a plus rien à espérer de la vie.
Valentine Birnbaum
13/10/2020, Nouméa, terrasse
| Photo © Valentine Birnbaum, 2020, Nouméa Magenta , Nouvelle-Calédonie
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