Débat intérieur
- Valentine Birnbaum
- 2 janv. 2021
- 3 min de lecture

« Il n’y a rien de mieux que créer la nuit» disait-elle. « À l’abri des regards incertains autant que des siens ». Et elle avait raison. La nuit, plus rien est interdit. Personne ne se préoccupe de ce qui ne rapporte pas à la société. Or la nuit, en semaine, la plupart des individus sont cloisonnés chez eux. Aucun compte à rendre, aucune pression temporelle ni sociale ; seule la timide résistance au sommeil sait réveiller en nous la pépite créative. L’envie intime qui ne se manifeste que quand toutes les autres sont éteintes, l’envie de vivre, l’envie d’être libre. La nuit offre le cadre idéal à qui veut être libre du temps, libre de la société, de la famille, des obligations, de soi-même. Je marchais dans mon atelier en diagonale des angles de la pièce. « L’inspiration a besoin de respirer Ysquza… Oui mais elle a aussi besoin de matière ». Je respire profondément l’air frais qui traverse la baie vitrée. Dehors au loin résonnent les derniers klaxons des exceptionnels festifs d’un mardi soir. Soit. Je voudrais finir cette œuvre mais l’obligation que je m’impose à moi-même frustre l’égo fragile de mon inspiration. Je suis une artiste et de ce fait je suis un enfant capricieux qui ne supporte pas les responsabilités même quand c’est moi qui me les impose. La pression inhibe ma créativité qui ne tient qu’à la liberté totale de ma conscience ou à l’intensité prioritaire de mes émotions.
Aujourd'hui je n’ai pas besoin de peindre, je ne ressens pas la nécessité d’expression me titiller le bout des doigts. Ni me faire frissonner comme un drogué en manque. Là j’ai la flemme, je n’ai ni l’envie ni le ressenti. Et pourtant il faut que je termine ce tableau, je me suis engagée à le faire. Mais peut-être que précisément pour cette raison je ne dois pas le finir. Ne pas répondre à l’autorité par une soumission. Même lorsqu’il s’agit de mon autorité et de ma soumission ? Enfin donc, pourquoi ferais-je une exception ? Par ailleurs, agir sous la contrainte m’éloigne de ma volonté pure de créer et donc de l’inspiration qui me guide. Oh là mais ne suis-je pas entrain de me chercher des excuses pour assouvir ma flemme ? Et bien oui peut-être, et ? Cela ne retire rien au fait que la contrainte me censure. Ah mais le fait - elle vraiment ? La contrainte permet d’orienter l’art dans des structures définies, elle donne la matière avec laquelle jouer. La contrainte impose mais permet également. De plus, le sentiment de désobéissance suggéré par cette variable contraignante suscite elle aussi beaucoup d’inspiration à l’artiste : comment déjouer les règles qui existent ? Oui bon… D’accord la contrainte ne me censure pas tant que ça. Mais est-ce que démonter mon argument de censure est une raison suffisante à agir en suivant l’autre ? Anéantir un argument ne suffit pas comme preuve de crédibilité ni de validité à adopter un autre argument. Finalement j’ai la flemme oui, voilà mon véritable argument, et je suis fatiguée. Ah ! Mais est-ce que mes ressentis physiques justifient de me dérober à mon engagement idéologique, à mes promesses envers moi-même, à l’accomplissement de mes valeurs ? Rah… Bon. La culpabilité, cette sournoise oratrice finit toujours par pointer du doigt l’argument qui me fera faillir en sa faveur. Je la redoute comme la peste ou le choléra et donc je l’écoute de peur de ses représailles.
Le bruit de la route reprend l’intensité initiale et berce la pièce de son ronron hypnotisant pendant que je me réveille de mes pensées et me dirige vers la toile, j’ai une œuvre à finir.
Valentine Birnbaum
Le 14/12/2020, Nouméa
| Photo © Valentine Birnbaum, 2020, Nouméa
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